lundi 12 février 2018
Surveillance des essais cliniques et Santé publique. Vers un développement clinique durable des produits de santé ? Conakry, 02/2018
M. BARDIE Yannick PhD fellow, Université de
Montpellier - Laboratoire MRM-SI, Intelligence in Life
IRD-CCDE
-BARDIE Y. Surveillance des Essais Cliniques et Santé publique - Conakry 2018 1
Présenté le 7 février lors du colloque international : regards éthiques pluridisciplinaires en sciences sociales, environnement et santé - expériences et perspectives en Afrique de l'Ouest.
Conakry, 6 au 8 Février 2018
Mots Clefs : essais cliniques,
délocalisation, capabilités, justice distributive, surveillance, transfert de
technologies.
Story Telling
En février
2005, le ministre camerounais de la Santé suspend les essais cliniques menés
par un grand laboratoire occidental. Celui-ci a été mis en cause pour le
recrutement de prostituées dans le but de tester une molécule antirétrovirale,
dans le cadre d’un essai clinique sur l’infection au VIH. Ces prostituées
auraient été encouragées à n’avoir que des rapports sexuels non protégés avec
des partenaires multiples à raison de 4 € par mois...[1]
La
délocalisation des essais thérapeutiques est un moment dans lequel, les pays «
du nord » trouvent des voies de développement clinique dans les pays « du sud
». Les distorsions, les disparités dans l’accès aux soins médicaux rendent les
conditions de réalisation de ces essais délicates en terme de justice, de
liberté et donc d’éthique. Ce moment est tragique, car néanmoins, dans certains
pays, et pour certaines indications, l’essai thérapeutique reste le seul moyen
d’accès à des soins gratuits.
D’après une
étude de la base de données publique américaine des essais cliniques
(www.clinicaltrial.gov) réalisés par les vingt plus importants laboratoires
américains, un tiers des essais seraient conduits entièrement en dehors des USA
et la majorité des sites investigateurs se localiserait en dehors des
Etats-Unis. Or, 80 % des maladies touchent les pays en voie de développement
alors que seuls 10 % des recherches y sont consacrées.[2]
Bien que la
participation à un essai clinique puisse s’avérer être l’unique accès à des
soins gratuits, les motivations financières encouragent certains sujets à
participer à l’essai et à en accepter les mauvaises conditions éthiques.
Conditions de Réalisation locales
Une mission
de surveillance des essais cliniques aurait pour objet de déterminer si un
essai thérapeutique peut ou doit être initié dans un territoire donné. Pour
mener à bien cette analyse, elle s’appuierait sur trois principaux sujets :
1. La
vérification de l’application locale des réglementations et déclarations
internationales,
2.
L’effectivité de la réglementation locale concernant la recherche biomédicale
et bien sûr
3. Les
conditions éthiques de la réalisation (éventuelle) de la recherche médicale.
Cadre conceptuel/ contexte théorique
Nous
choisissons d’utiliser la théorie néo-institutionnelle (TNI) qui nous semble
adaptée au secteur pharmaceutique par sa structuration verticale, ce qui nous
permettra d’utiliser de façon complémentaire le modèle sociotechnique de
Rasmussen dans nos analyses de terrain. Au niveau organisationnel, dans un
contexte incertain et influencées par certains types de pression
socio-économiques, les organisations tendront à adopter des structures qui
seront considérées comme légitimes par les autres organisations afin d'assurer
leur pérennité (Meyer et Rowan, 1977).
Ethique et Responsabilité Sociale des Entreprises du
Médicament
Selon Donna
Wood[3], une
entreprise tournée vers l’humain devrait respecter trois
principes moraux pour être qualifiée de « socialement respectable » :
• Le
principe de légitimité : une entreprise en tant qu’institution, ne devrait pas abuser de
son pouvoir,
• Le
principe de responsabilité publique : directement ou indirectement en raison de
leur champ d’action, car il y a délégation partielle du service public
de la
santé,
• Le
principe d’action socialement responsable : les membres de l’entreprise disposent
d’une capacité d’agir en dehors des prescriptions de leur organisation
(particulièrement en recherche).
Ces
principes s’opposent radicalement au point de vue de l’Ecole de Chicago et
de Milton Friedman (1912-2006). Selon ce courant de pensée, en effet, «
l’entreprise a une responsabilité et une seule : utiliser ses ressources et
s’engager dans des activités visant à augmenter ses profits dès lors qu’elle respecte
les règles du jeu, c’est-à-dire sans tromperie ni fraude »[4].
La
Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE), versant opératif de cette prise de conscience,
prend de l’importance au sein des entreprises du médicament et des
produits de santé. Un laboratoire pharmaceutique a, en effet, des responsabilités
vis-à-vis des parties prenantes internes (salariés, actionnaires, prestataires
de services, animaux de laboratoires[5]) et
externes (patients, volontaires
de la recherche biomédicale, autorités de santé, assureurs maladie publics et
privés).
Principaux résultats et recommandations
Nous
cherchons des réponses aux questions suivantes :
1. sur un
plan néo-institutionnel comment se structurera la surveillance dans la
gouvernementalité5 ?
2. Comment
et par qui seront effectués le contrôle, le pilotage statique et dynamique des
organisations en recherche clinique ?
3. Comment
garantir l’acceptabilité par les acteurs ?
4. Est-il
technologiquement et socio-technologiquement possible de développer des outils
informatiques, cybernétiques sécuritaires dans le domaine de la surveillance
des essais cliniques délocalisés ?
SCORING RSE
L’ensemble
de la démarche décrite ici, permet de caractériser les risques éventuels,
d’analyser les incertitudes pour finalement gérer le risque. La gestion du risque
est entendue comme le processus de prise de décision qui englobe les
considérations politiques, sociales, économiques et technique avec les informations
en relation avec le risque. Cette gestion, doit déboucher sur le développement,
l’analyse et la comparaison des options réglementaires et de sélectionner
la réponse réglementaire adéquate face à un danger pour la sûreté des
patients et de la recherche clinique. Afin que cette dernière, demeure une démarche
solidaire et responsable.
Nous ne
sommes pas naïfs au point de penser que les seules bonnes intentions
suffiraient à limiter les dérives éthiques. En 2012, le marché mondial du
médicament est évalué à environ 856 milliards de dollars de chiffre d’affaires (contre
moins de 200 milliards de dollars en 1990) 264. C’est dire que les lobbies en présence
sont puissants et le sont de plus en plus.
Nous
pensons que des ONG, ou des sociétés savantes non commerciales pourraient
être chargées de la surveillance dans le domaine de la recherche biomédicale
par les autorités de tutelles (internationales, voir globales) par
délégation de service public national ou mondial. Elles leurs rendront compte et
publieront à l’attention du public (essor de la transparence du monde
pharmaceutique) et des assureurs (assurances maladies nationales ou privées,
mutuelles, assureurs de la responsabilité civile des industries de santé, assureurs
des essais cliniques) des alertes, des statistiques, des scores du risque (iatrogénique,
éthique, de conflit d’intérêts, etc…). Des agences de notations spécialisées…
Ces agences constitueraient alors un lobby non commercial et
non rival,
à même d’influencer des acteurs au moins aussi puissants que les industries
de la santé que sont les assureurs de celles-ci, voilà le bras armé des bonnes
intentions ! Les conseilleurs et les payeurs faisant alliance de façon vertueuse
pourraient à terme labelliser les produits de santé et les industries répondant à
cette démarche éthique et durable.
Conclusion
Dans le
contexte actuel de la recherche clinique mondiale, il est possible de remédier
et de prévenir les dérives éthiques survenues dans les études cliniques. Pour
cela, il faut agir sur les composantes sociales et économiques en apportant à
la fois un cadre légal local à la conduite des études cliniques et au respect
de leurs méthodologies, et à la fois contribuer au développement de ces pays
sur le plan sanitaire en favorisant les transferts technologiques et la
formation du personnel local. Le développement clinique ne pourra cependant
être durable que s'il permet de rétablir une certaine équité entre les acteurs
et cela passera probablement par la mise en place d'une gouvernance mondiale,
possiblement une gouvernance polycentrique, une gouvernance qui produirait des
décisions par consensus global.
[1] Gervais,
L.-M. (2008) in Chauveton c. – Ethique et mondialisation de la recherche
clinique :
états des lieux, conséquences et perspectives – Thèse
pour le diplôme d’Etat de Docteur en
Pharmacie, soutenue le 18 novembre 2011 à l’UFR
Pharmacie d’Angers.
[2] Thalabard
Jean-Claude, Enjeux éthiques de la méthodologie des essais cliniques, in Traité
de Bioéthique.
[3] 242. Wood D. J., Corporate social
performance revisited, Academy of Management Review, 16, 4,
1991, p.691-718. In L’éthique appliqué aux Presses
Universitaires de France, Que sais-je ? ISBN
#972.2.13.058076.8.
[4] Friedman
M., Capitalisme et liberté (1962), Paris, Robert Laffont, 1971, p. 133.
[5] Pour
Paul Taylor, qui s’inscrit dans une perspective biocentrique, tout être vivant
est un « centre
téléologique de vie » et doit donc, en tant que tel,
être considéré comme une fin en soi. [Taylor P. ,
Respect
for Nature, Princeton University Press, 1986]
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