jeudi 12 novembre 2015

Vers un Développement Clinique Durable ?

Il se fait que l'accumulation de connaissances médicales en lien avec les essais mais surtout leur meilleure exploitation (méta-analyse) grâce aux technologies de l'information et à la simulation, devraient conduire à une limitation dans l'exposition aux risques, à une diminution du nombre de sujets exposés aux essais. Que dans le cas où néanmoins des essais seraient nécessaires, il conviendrait de compenser l'empreinte éthique non seulement au plan individuel mais également au plan collectif et sociétal (transferts de technologies et approvisionnement en médicaments de première nécessité). 

Si l'essai thérapeutique est inéthique par nature, alors il convient d'en limiter son usage autant que faire se peut. Limiter l'empreinte éthique c'est avoir recours à des procédés, à des technologies alternatifs à l'essai. A l'image de l'histoire des essais nucléaires, il est possible de mieux utiliser des données cliniques existantes plutôt que dans générer de nouvelles par l'essai, en créant ainsi une « réalité augmentée ». Comme pour la recherche nucléaire, il est nécessaire d'avoir recours à des simulations informatiques, qui requièrent des machines et des algorithmes puissants. Cela correspond à l'émergence d'une technologie et d'une industrie nouvelles qui permettront l'émergence d'un développement clinique durable. Adopter la démarche du développement clinique durable, c'est limiter l'empreinte éthique du développement clinique. Limiter cette empreinte, c'est limiter au maximum le nombre de patients recrutés dans les essais thérapeutiques. Cette nouvelle technologie se heurte aujourd'hui à des barrières réglementaires ainsi qu'à un seuil technologique dans le traitement de l'information. Développer des outils informatiques, cybernétiques de modélisation de l'essai c'est développer un nouveau secteur en Europe et en France. Par ailleurs, cette démarche permettrait de quantifier le risque (par traitement du signal) lié à l'utilisation des produits de santé en croisant des bases de données existantes comme cela se fait déjà pour alimenter la Table #3 de la base de données Européenne de pharmacovigilance « Eudravigilance » . Sur un plan économique et financier, l'émergence d'outils de gestion du risque clinique, intéressera les assureurs des laboratoires pharmaceutiques dans une démarche prudentielle, les mêmes qui en améliorant la sûreté pharmaceutique exposeront moins leurs images aux opinions publiques. Dans la nouvelle économie de santé, les patients auront à payer de plus en plus pour accéder aux soins et aux produits de santé. A ce titre ils seront sensibles à la bonne image des fabricants et à leur éventuelle labellisation sur la démarche du développement durable. La France et l'Europe ont toute la légitimité et les technologies nécessaires pour mener à bien ce chantier du XXIème siècle qui a à voir avec un développement humain solidaire.

Le coût moyen du développement d’une nouvelle molécule active a augmenté de 35 % entre 1994 et 2004. Cela est dû à l’allongement des délais de développement concomitamment au renforcement des contraintes scientifico-réglementaires ainsi que l’émergence de technologies nouvelles coûteuses. C’est dire que nécessité fait loi !

L’histoire de notre discipline fait apparaître des invariants sensibles, douloureux et parfois macabres dans les tests médicaux, c’est pour cela que la réglementation des essais est stricte et sa méthodologie très encadrée. Nous sommes dans un exercice périlleux, dans des lois d’exception. 

En Europe, pour que notre recherche reste compétitive, il conviendrait de remonter la chaîne de valeur de l’essai en développant des outils innovants particulièrement dans les TIC. Car d’ici à 2030, l’augmentation exponentielle des volumes de données, couplée à l’émergence de capacités de corrélation et d’analyse, donnera une puissance sans précédent aux réseaux connectés dans presque tous les endroits du monde  . Nous entrerons alors dans l’ère des solutions de données, aujourd’hui limitées par le fait que les quantités de données accumulées dépassent la capacité des systèmes à les utiliser avec efficience. Dans les domaines des essais, l’apparition des bases de connaissances sera concomitante à la mise en relation (par chaînage) des bases de données cliniques, de pharmacovigilance et de monitoring. Cela permettra la détection de signaux d’alerte précoce et la possibilité d’une sécurité passive du développement clinique. Ce dernier, avec l’essor des schémas adaptatifs d’essais, se « tunnelisera » et se poursuivra tout au long de la vie du médicament ou du dispositif. Il est un scenario possible, dans un monde moins étatique, que celui dans lequel des ONG soient chargées de la surveillance par les autorités de tutelles (internationales, voir globales) par délégation de service public mondial. Elles leurs rendront compte et publieront à l’attention du public (essor de la transparence du monde pharmaceutique) et des assureurs (assurances maladie et assurances de responsabilité civile des laboratoires) des alertes, des statistiques, des scores du risque (iatrogénique, éthique, de conflit d’intérêts, etc…). Des agences de notations spécialisées… L’Europe y verra un moyen de renforcer sa position en misant sur ces puissances (douces). Dans cet emploi du « soft power », les ONG, des universités feront alliance pour faire face aux problèmes mondiaux en santé publique et dans le développement des produits de santé. Ne nous le cachons pas, la France et l’Europe, ont, en matière d’industrie pharmaceutique, un leadership à préserver dans certaines aires thérapeutiques, face à des émergents demain surpuissants que seront l’Inde et le Brésil.

© Yannick BARDIE, Intelligence in Life, 2015. 

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